Véronique Lauvergeat — Hypnose à Orléans

LA ROSE EST SANS POURQUOI

30/05/19

" La rose est sans pourquoi, fleurit parce qu’elle fleurit ;
Sans souci d’elle-même, ni désir d’être vue."

Distique d’Angelus Silesius poète du XVIIè siècle.

"Vers connus, admirables, devant lesquels on ne peut que s’incliner. En effet, la rose est sans pourquoi comme tous les vivants, comme nous tous. Si toutefois un naïf observateur voulait ajouter quelque chose, il pourrait dire ceci : être pleinement une rose, en son unicité, et nullement une autre chose, cela constitue une suffisante raison d’être. Cela exige de la rose qu’elle mette en branle toute l’énergie vitale dont elle est chargée. Dès l’instant où sa tige émerge du sol, celle-ci pousse dans un sens, comme mue par une inébranlable volonté. A travers elle se fixe une ligne de force qui se cristallise en un bouton. A partir de ce bouton, les feuilles puis les pétales vont bientôt se former et s’éployer, épousant telle courbure, telle sinuosité, optant pour telle teinte, tel arôme. Désormais, rien ne pourra plus l’empêcher d’accéder à sa signature, à son désir de s’accomplir, se nourrissant de la substance venue du sol, mais aussi du vent, de la rosée, des rayons du soleil. Tout cela en vue de la plénitude de son être, une plénitude posée dès son germe, dès un très lointain commencement, de toute éternité, pourrait-on dire.

Voilà enfin la rose qui se manifeste dans tout l’éclat de sa présence, propageant ses ondes rythmiques vers ce à quoi elle aspire, le pur espace sans limites. Cette irrépressible ouverture dans l’espace est à l’image d’une fontaine qui rejaillit sans cesse du fond. Car pour peu que la rose veuille durer le temps de son destin, elle se doit de s’appuyer aussi sur un enfouissement dans la profondeur. Entre le sol et l’air, entre la terre et le ciel s’effectue alors un va-et-vient que symbolise la forme même des pétales, forme si spécifique, à la fois recourbée vers l’intérieur de soi et tournée vers l’extérieur en un geste d’offrande… " éclat de chair, ombre de l’esprit." Il convient en effet que la chair soit dans l’éclat et que l’esprit soit à l’ombre, afin que ce dernier puisse soutenir le principe de vie qui régit la chair. Lors même que les pétales seraient tombés et mêlés à l’humus nourricier, persisterait leur invisible parfum, comme une émanation de leur essence, ou un signe de transfiguration.

" En un geste d’offrande "… " sans souci d’elle, ni désir d’être vu. " Il est vrai que le pourquoi d’une rose étant d’être pleinement une rose, l’instant de sa plénitude d’être coïncide avec la plénitude de l’Etre même. Autrement dit, le désir de la beauté s’absorbe dans la beauté ; celle-ci n’a plus à se justifier. Si nous continuons à vouloir raisonner en termes de « être vue » ou « ne pas être vue », disons que la beauté de la rose dont l’éclat résonne à tout l’éclat de l’univers – outre le rôle qu’elle joue dans l’éducation du regard des hommes – il n’y a en fin de compte qu’un regard divin qui puisse l’accueillir. J’ai bien dit : l’accueillir et non la cueillir !!!

extrait de CINQ MEDITATIONS SUR LA BEAUTE de François Cheng.